Le Cloud, Un saut dans l’inconnu dont on ne mesure pas les conséquences.

Nous sommes en train de créer une économie où il ne nous restera que les miettes

Le Cloud, Un saut dans l’inconnu dont on ne mesure pas les conséquences.

INTERVIEW. « Nous sommes en train de créer une économie où il ne nous restera que les miettes », avertit Tariq Krim, fervent défenseur des développeurs français.

Propos recueillis par Guillaume Grallet

Entrepreneur pionnier du Web et ancien vice-président du Conseil national du numérique, Tariq Krim s’apprête à lancer la première plateforme de souveraineté numérique citoyenne qui s’appuie sur les acteurs français du cloud. Cette technologie, comme il l'explique dans un livre disponible en libre accès, est en effet essentielle dans nos vies : du stockage de fichiers pour smartphone au logiciel de comptabilité en ligne, en passant par les jeux vidéo à la demande. Or ces services sont de plus en plus dominés par les grandes entreprises américaines et chinoises que sont Amazon, Google, Microsoft, Alibaba ou encore Tencent. Cela se comprend, car ces sociétés, qui investissent énormément en recherche et développement, offrent des services particulièrement efficaces. Mais cela peut poser des questions lorsque les données concernées sont rattachées à des fonctions régaliennes, par exemple l’éducation, la santé ou encore la sécurité.

Né à Paris, le créateur de Netvibes, Jolicloud et Polite.one a toujours pensé que la France avait les ressources pour offrir une alternative aux Big Tech. Repéré en 2007 par la MIT Technology Review dans le groupe TR35, qui distinguait les meilleurs innovateurs de moins de 35 ans, la même année que Mark Zuckerberg et Garett Camp, le créateur d’Uber, il a établi en 2014 un rapport sur les développeurs français de talent. Et estime toujours aujourd’hui que le manque de reconnaissance et de soutien du savoir-faire technologique français empêche notre pays de devenir un leader du numérique. Mais il n’est pas trop tard pour agir, à condition cependant que notre classe politique s’empare de ces enjeux.

**Vous venez de mettre en ligne un livre manifeste : Lettre à ceux qui veulent faire tourner la France sur les ordinateurs de quelqu’un d’autre. Pourquoi l’avoir écrit?
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Parce que je suis très inquiet de la direction que prend la France avec le nouveau plan Cloud (présenté le 17 mai dernier NDLR). Faire entrer les GAFAM au cœur de l’État dans la quasi indifférence générale est une très grave erreur. C’est un saut dans l’inconnu dont on ne mesure pas toutes les conséquences à moyen terme. Jamais un tel niveau de dépendance n'avais été expérimenté même en plein coeur de la Guerre Froide.
J’ai fait cet essai pour permettre à chacun d’entre nous d’en décrypter les enjeux et d'en comprendre les conséquences à 9 mois des élections présidentielles.
La question de la souveraineté numérique impact notre avenir de manière très large par exemple sur la question des retraites.

Pourquoi?

Il est important de rappeler le modèle des retraites aux États-Unis est basé sur la bourse. Quand les GAFAM capitalisent plus de 9000 milliards de dollars de valorisation combinée alors, les retraites américaines sont garanties. Tous les présidents américains, Trump y compris, l’ont compris et n’ont rien fait qui soit vraiment dommageable aux entreprises Tech. Depuis qu’Amazon a détrôné l’entreprise pétrolière Aramco ce mois-ci, les GAFAM sont désormais les 5 premières entreprises au monde. Elles sont aussi les principales pourvoyeuses d’emplois qualifiés en recrutant à tout-va les meilleurs ingénieurs du monde entier. Aux États-Unis avec Amazon, elles sont aussi désormais les principaux employeurs de jobs non qualifiés. C’est un modèle pernicieux : vous manipulez du code informatique ou des colis ; dans ce nouveau monde il n’y a pas d’entre-deux, pas de classe moyenne.

En France, pour que les retraites par répartition soient financées, il faut que l’on puisse continuer à créer des emplois qualifiés sur le long terme. Dans le monde numérique la voie royale c’est l’ingénieur informatique. Quand les grande entreprises ou l'Etat passent sur les cloud américains, cela veut dire qu'ils renforcent la valorisation de ces acteurs au détriment de notre écosystème local. Entre les aides d'état comme le crédit impôt recherche et les partenariats avec de Grandes écoles comme Normal Sup qui leur servent désormais leurs meilleurs étudiants sur un plateau nous sommes en train de créer une économie ou il nous restera que les emplois non qualifiés qui résultent du numérique.
D’une certaine manière la pandémie nous a donné un aperçu de ce futur: Voir nos centre-villes fermés et le ballet permanent de scooters et camionnettes livrant les gens du matin au soir.

Il faut comprendre que le choix du modèle numérique que nous devons adopter doit entrer dans le débat de 2022

Pourquoi le Cloud constitue-t-il un virage technologique important pour la société?

Le Cloud est d’origine militaire. En 1982 la société Grid lance le premier service de Cloud intégré à l’ordinateur Grid Compass qui sera l’ordinateur de prédilection de la CIA et de la NSA notamment pour les agents à l’étranger. Dès le départ se pose la question de la confiance. Bien avant l’arrivée de l’Internet commercial, les principales sociétés qui travaillent sur ces technologies comme NeXT (la seconde société de Steve Jobs) ou Sun Microsystem doivent construire un écosystème de confiance vis-à-vis de l’Armée puis de Wall Street. Il faudra attendre 2007 pour que l’idée du Cloud devienne grand public avec l’arrivée de l’iPhone. A partir de ce moment les données, emails, contacts qui étaient dans nos ordinateurs vont être délocalisés sur les serveurs des grandes plateformes. C'est d'ailleurs l'acte de naissance des GAFAM.

**Comment expliquer que cette industrie et les services qui y sont liés soient dominés par les acteurs américains et asiatiques ?
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Parce que nous Européens avons décidé de sous-traiter tout ce qui était difficile. Les syndicats nous embêtent, délocalisons en Chine ; l’Informatique interne coûte trop cher, transférons-la aux sociétés de services et aux grands acteurs du Cloud. Et si c’est trop compliqué de mettre à jour l’informatique d’État, alors, et c’est ce qui a été annoncé, faisons-la tourner sur les Clouds des GAFAM ou plutôt la version franchisée à quelques acteurs français. À force de n’avoir rien fait, pas investi et surtout promu un entre-soi qui fait que les projets les plus mauvais sont toujours ceux qui sont choisis, nous en sommes là.

**Est-il trop pour la France? N'a-t-elle pas les ressources pour jouer un rôle de premier plan dans le Cloud et dans les technologies en général ?
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Le Cloud c’est essentiellement du logiciel. C’est un domaine d’excellence en France, il n’y a aucune barrière de compétence, juste la trouille de l’État de faire confiance aux petites entreprises. Créons un Small Business Act à la française, investissant la moitié de l’argent de la French Tech là-dessus et nous serons un des acteurs importants du domaine.

**Que faut-il faire pour que la France retrouve sa souveraineté numérique ?
**

Seul un service de l'État est vraiment souverain, c’est la Gendarmerie Nationale. Ce serait pas mal de leur demander comment faire pour que les autres services le soient aussi.

Télécharger le livre de Tariq Krim

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